Orthophoniste, spécialiste de l’ « au-delà du langage », Christiane Drieux a rencontré l’anthropologie peu après que sa passion pour les peuples du Nord naisse. Elle s’est initiée aux voyages, inspirée par ses lectures qui lui ont donné envie d’ « aller voir ». Elle a effectué plusieurs séjours en Asie centrale, avant de parcourir l’Arctique, où elle s’est nouée d’amitié avec des éleveurs de rennes de Kaitokeino. Son premier contact avec les Inuighuit date de 2009, ce fut un choc, un privilège, une évidence. Elle en revient avec de nombreuses interrogations, notamment sur le la cohabitation entre tradition et modernité, elle cherchera des réponses dans l’ethnologie.
Au fils de ces 5 expéditions de terrains, sa thèse s’intéresse à la façon dont les Inughuit conjuguent résilience et créativité.
Elle montre que les chasseurs de narvals privilégient des équipements (kayaks) dont la conception les relie à leurs ancêtres. En perpétuant la chasse au narval en kayak, ils conjuguent dextérité du geste, virtuosité du corps, attention de l’esprit à l’environnement et aux animaux, avec tradition communautaire.
Alors que l’ouverture à la modernité leur donne accès aux véhicules motorisés, les chasseurs pour se rendre sur les lieux de chasse au printemps, chargent leurs kayaks sur des traineaux à chiens. Cette ouverture sur le monde s’accompagne d’un regain d’intérêt pour les pratiques ancestrales. Par exemple, les jeux traditionnels des enfants visent à développer les capacités de futur chasseurs ou couturières.
Des nécessités économiques et des changements environnementaux contraignent les chasseurs à se tourner vers d’autres sources de revenus, à s’adapter à d’autres règles inspirées par l’ouverture vers une société de marché et induisent un autre rapport à l’environnement. Ainsi, les chasseurs ont créé une coopérative qui commercialise le mattaaq des narvals (peau de narvals) et les flétans. De nouveaux comportements apparaissent (ex. individualisme).
Des savoirs écologiques traditionnels sont présents au sein de la communauté. Les chasseurs observent/déplorent la réduction de la période de banquise, l’imprévisibilité de la météo, les changements des comportements des animaux, et se pose en protecteur de leur environnement. Les chasseurs accordent une place particulière au dialogue interspécifique avec les animaux qu’ils considèrent comme doués d’intentionnalité, de cognition et dotés d’intelligence. Des rituels d’offrande, de séduction des esprits sont aussi observés.
La communauté est régulée par l’entraide et le partage. Tandis que les Inughuit, dans une démarche alliant créativité et résilience, ouvrent leur monde à la globalisation, la chasse au narval continue à procurer à la communauté non seulement un accès à la viande mais aussi un lien avec son passé, une cohésion autour de son héritage culturel, et constitue une pratique spécifique identitaire, porteuse de normes régulatrices. Enfin, si la distribution des tâches est genrée, Christiane Drieux souligne le rôle central des femmes dans le maintien de la cohésion et du partage au sein de la communauté.