"La mémoire des glaces"
Les carottes de glace forées dans les glaciers sont de fantastiques livres naturels d’histoire. Elles nous renseignent sur l’évolution du climat, de l’environnement, de la composition de l’atmosphère. Ainsi les observations mondialement connues des variations naturelles des gaz à effet de serre sont issues des analyses de ces carottes. 800.000 ans d’histoire ont pu être décrits grâce au forage européen EPICA impliquant 10 pays, montrant le rôle joué par les gaz à effet de serre dans l’évolution naturelle du climat et les niveaux sans précédent de ces gaz dans l’atmosphère actuelle en comparaison aux derniers 800.000 ans. Des courbes essentielles dans le cadre des travaux du GIEC et de la prise de conscience du problème au niveau mondial.
Un challenge essentiel pour cette communauté scientifique, regroupée dans le cadre du projet international IPICS, consiste aujourd’hui à trouver en Antarctique de la glace formée il y a 1,5 millions d’années. L’objectif est de déterminer le rôle joué par le CO2 et d’autres gaz à effet de serre dans la transition climatique majeure s’étant produite il y a environ un million d’années, voyant un changement essentiel dans le rythme des glaciations de la Terre. En filigrane, ce projet vise à mieux contraindre la sensibilité du climat, donc les trajectoires climatiques en fonction de la quantité de gaz à effet de serre que nos sociétés émettront dans l’atmosphère dans le futur. La communauté scientifique européenne y répond par le projet « Beyond EPICA: Oldest Ice » financé par l’Union européenne potentiellement jusqu’en 2025. Le focus se pose sur un site localisé à environ 40 km de la base Concordia, sur des hauts plateaux du socle rocheux sous la calotte de glace. La France contribue au projet notamment en déployant la sonde révolutionnaire Subglacior dont Jérôme Chappellaz est à l’origine, visant à forer le glacier sur toute son épaisseur (2700 m) en une seule saison de terrain pour valider l’âge de la glace en profondeur et pour obtenir les premiers signaux d’intérêt.
Il y a 3 ans, Jérôme Chappellaz a initié le projet Ice Memory. Celui-ci vise à collecter des carottes de glace issues de glaciers de montagne en danger en raison du réchauffement climatique, pour les stocker à très long terme en Antarctique (congélateur naturel 100% fiable) en vue de la science de demain, conduite par les générations futures. Ce projet a vu ses deux premières opérations se dérouler avec succès sur le glacier du col du Dôme (Mont Blanc) dans les Alpes en 2016, puis sur le glacier Illimani en Bolivie (à 6300 m d’altitude) au printemps 2017.
La prochaine opération devrait se dérouler avec les Russes sur le Mont Elbrouz dans le Caucase durant l’été 2018. Projet international atypique, son origine en France repose sur un partenariat unique entre opérateurs publics et financeurs privés, sous l’égide de la fondation Université Grenoble Alpes. L’UNESCO soutient désormais officiellement le projet, une décision ayant été votée par le comité exécutif de l’institution réunie à Paris en octobre dernier.